Le discours prononcé par le président congolais, Félix Tshisekedi, lors de l’ouverture du 2ᵉ Congrès extraordinaire de l’Union Sacrée de la Nation, a donné le ton : face à la crise multidimensionnelle que traverse la RDC, la solution sera congolaise. Le président a posé des lignes rouges claires pour tout dialogue, tout en exhortant sa coalition à se consolider.
Mais cette approche, à la fois ferme et souverainiste, peut-elle désamorcer la crise ou risque-t-elle de l’aggraver ?
La souveraineté : une ligne rouge à double tranchante
Alors que des confessions religieuses comme la CENCO et l’ECC ont récemment proposé une feuille de route pour un dialogue sous le nom de PACTE SOCIAL, une démarche saluée par l’opposition et la société civile, le président Tshisekedi a réaffirmé son contrôle sur le processus. En déclarant qu’aucun dialogue ne se tiendra sans son initiative, il envoie un message clair : la résolution de la crise relève de la présidence, et non de forces extérieures comme la France, les États-Unis ou le Qatar, ni d’acteurs de l’opposition qui voudraient imposer leur propre agenda. Il s’agit d’une manifestation de son autorité, signifiant que la RDC n’est pas un État sous tutelle.
Cependant, cette condition est aussi perçue comme un verrouillage. Elle laisse peu de marge de manœuvre à l’opposition et à la société civile qui pourraient souhaiter un dialogue neutre, facilité par une médiation crédible. Si le président n’accepte de dialoguer qu’avec des interlocuteurs qu’il choisit, il y a un risque que ce dialogue soit non pas une solution à la crise, mais une simple validation de son pouvoir.
Accusations et fractures : une stratégie polarisante
Le passage le plus percutant du discours est l’affirmation que le dialogue se tiendra avec des « Congolais non inféodés aux pays voisins ». Cette phrase, qui ne nomme personne, est potentiellement inflammable. Elle pointe du doigt des acteurs politiques ou militaires, les accusant d’être des marionnettes de puissances étrangères. Dans le contexte de tensions régionales persistantes et de la rébellion qui sévit dans l’Est du pays, cette rhétorique peut galvaniser une partie de la population, mais elle crée aussi une division profonde.
Qui est « inféodé » et qui ne l’est pas ? Cette étiquette peut être utilisée pour disqualifier toute opposition critique, notamment en la liant aux rébellions. En alimentant la méfiance et en posant les bases d’une purge politique, cette stratégie risque d’exclure des voix essentielles et de rendre tout dialogue national difficile, voire impossible.
L’Union Sacrée : un bouclier ou une arme ?
Le président ne s’est pas contenté de fixer les règles du dialogue : il a appelé l’Union Sacrée à se consolider. Il s’agit clairement d’une stratégie pour renforcer sa propre base politique et transformer cette coalition en une « machine politique » puissante, capable de faire face aux défis et de mettre en œuvre la vision présidentielle.
Si l’Union Sacrée parvient à s’unifier, elle pourrait devenir un levier d’action efficace pour stabiliser le pays. Cependant, le danger est de la transformer en un « parti d’État » hégémonique qui étouffe le débat démocratique et la pluralité des opinions. Une Union Sacrée plus forte pourrait être vue non pas comme un facteur de pacification, mais comme une consolidation du pouvoir au détriment de l’opposition.
Par ailleurs, après plus de sept ans au pouvoir, la population congolaise attend des résultats concrets pour améliorer ses conditions de vie : l’accès à l’eau et à l’électricité, des soins de santé, des routes, des produits alimentaires abordables et une amélioration des salaires. Les besoins sont nombreux, mais ces questions ne semblent pas encore être la priorité du gouvernement.
Un pari risqué sur la force et la souveraineté
Alors que les négociations entre le gouvernement et la rébellion n’avancent pas, le discours de Félix Tshisekedi est un acte de fermeté politique, un pari sur la capacité de la RDC à résoudre ses problèmes par elle-même, sous sa direction. Il cherche à insuffler une dignité souveraine au processus de résolution de la crise en rejetant toute ingérence perçue comme un diktat étranger.
Cependant, la plausibilité de ce discours pour désamorcer la crise est étroitement liée à la capacité du président de transformer ces paroles en actions. S’il n’est pas suivi d’un véritable dialogue inclusif et de mesures concrètes pour apaiser les tensions, sa rhétorique risque d’être perçue comme une manœuvre pour verrouiller le pouvoir, ce qui pourrait, à terme, aggraver la crise au lieu de la résoudre.
L’histoire jugera si la voie de la souveraineté totale était le chemin vers la paix, ou le chemin vers la polarisation.
Guyvenant Misenge
